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Journal | Octobre 2023

 
  • vendredi 13,
Raven (Kruk. Szepty slychac po zmroku)
Raven (Kruk. Szepty slychac po zmroku)

Raven (Kruk. Szepty slychac po zmroku), série de Jakub Korolczuk, 2018-2023, 3 saisons (saisons 1 et 2)

Totale découverte après être tombée par hasard sur ce titre sur le site d’Arte, et beaucoup aimé malgré une écriture scénaristique pas toujours très subtile (cherchant par exemple à prolonger le mystère sur des personnages ou événements passés assez vite évidents, oh ! un fusil de Tchekhov, un découpage des histoires internes assez répétitif et à cheval sur deux épisodes de sorte qu’on coupe à mi-épisode, oh ! un autre fusil de Tchekhov, ou des indices parsemés de ci-de là pour inciter le spectateur même le plus distrait à déduire qu’il est un fin limier... mais, ne serait-ce pas un fusil de Tchekhov ?). Ce défaut, plus marqué dans la première saison que dans la deuxième est vite pardonné, dans la mesure où la portée émotionnelle — et sociale — de la thématique de la première saison est particulièrement bien menée, et portée par de bons acteurs, dont Michal Zurawski (Kruk), là où la deuxième saison est à mes yeux, certes mieux écrite, mais un peu moins intéressante (plus conventionnelle et déjà vue). Un bon moment cependant =)

 

Italo Calvino, l'écrivain perché
Italo Calvino, l’écrivain perché

Italo Calvino, l’écrivain perché, film de Duccio Chiarini, 2023

Un documentaire touchant et éclairant pour découvrir ou approfondir ses connaissances sur la personnalité d’Italo Calvino, à la fois poète et homme engagé et révolté, humaniste attaché à la terre et aux êtres qui la peuplent tout autant que funambule rêveur d’un monde meilleur, à l’image de son Cosimo naufragé volontaire d’un entre-ciel-et-terre, racines bien ancrées et feuillage virevoltant.
Largement illustré par cette proximité quasi autobiographique avec son Baron perché, le film est passé très vite, et sans doute trop vite à mon goût : j’aurais beaucoup aimé qu’il s’attarde un peu plus sur ses autres œuvres, tout aussi intéressantes (et peut-être même plus), et — apparemment — d’une rare richesse (quand on dit que les romanciers écrivent toujours le même livre... [1]).

Dispo en libre accès sur Arte.tv jusqu’au 8 janvier 2024

 

 
  • samedi 14,
Tous à Zanzibar (Stand on Zanzibar)
Tous à Zanzibar (Stand on Zanzibar)

Tous à Zanzibar (Stand on Zanzibar), roman de John Brunner, 1968, 1972 pour la traduction de Didier Pemerle, Robert Laffont, coll. Ailleurs et demain

Livre depuis longtemps sur ma liste des livres à lire, mais auparavant à dénicher, occasion manquée faute d’avoir trouvé la très belle édition proposée par Mnémos et recueillant quatre romans dont celui-ci sous le titre La Tétralogie Noire avant épuisement, mais ayant tout récemment dégoté une version numérique, j’ai enfin pu assouvir ma curiosité, et n’ai pas été déçue !! Titre toujours injustement méconnu du grand public (même « grand public sf ») et ce depuis sa parution, bien qu’il soit depuis passé au statut de roman culte pour les afficionados et autres agités du bocal dont je fais joyeusement (et avec fierté !) partie, il s’avère aujourd’hui plus relever de l’étude prospectiviste que de la pure science-fiction à vrai dire, avec 10 ans d’avance... : 2010, la Terre (enfin, surtout l’humanité) est rongée par la surpopulation, la pollution, le racisme, la violence, le terrorisme, le néocolonialisme, un capitalisme aberrant, les guerres, la drogue et le contrôle des naissances (et l’eugénisme consécutif parce que : 1 acheté, 1 offert !), et sera peut-être, qui sait ? sauvée par l’intelligence artificielle... ça vous rappelle kekchose ? Et c’est vraiment là, à mon sens, que l’ouvrage tient du génie, dans la capacité à avoir imaginé ce futur-là, dès 1968 [2], plus que dans le style, bien que très travaillé (Brunner s’inspire fortement des expérimentations initiées par Dos Passos, utilisant la forme déstructurée pour représenter l’état du monde qu’il imagine, et plus que par l’histoire elle-même, les différents fils narratifs servant plus à approfondir la description du tableau proposé qu’à faire de ce roman un « page-turner ». Les personnages sont néanmoins plutôt sympathiques. Seul regret, que ce roman (et ses autres œuvres, notamment celles réunies dans la Tétralogie noire : L’Orbite déchiquetée, Le Troupeau aveugle et Sur l’onde de choc) n’ait pas connu le succès qu’il mérite, malgré le prix Hugo en 1969, le prix British Science Fiction du meilleur roman 1969 et le prix Apollo 1973. Mais il n’est jamais trop tard dit-on... ;)

 

 
  • samedi 21,
The Mystery of Banksy « A Genius Mind »
The Mystery of Banksy « A Genius Mind »

The Mystery of Banksy « A Genius Mind », « exposition » de (reproductions de) Banksy, 2023

Étonnée d’apprendre l’existence d’une telle expo, intriguée aussi, et m’interrogeant quant à la qualité de celle-ci vu le prix d’entrée, largement hésitante surtout face au contexte très particulier, très « business et ca$h-machine », alors que la plupart des œuvres de Bansky ont pour vocation d’être visibles par tous, à l’extérieur, par définition, puisque s’affichant sur les murs de nos villes (elles sont nombreuses), me disant finalement qu’une telle occasion n’est pas si fréquente. Heureusement. Après avoir passé le guichet et la large boutique de produits dérivés avoisinant l’inscription au pochoir « we can’t to anything to change the world until capitalism crumbles. In the meantime, we should all go shopping to console ourselves. » (On ne peut rien faire pour changer le monde tant que le capitalisme prospère. Allons tous faire du shopping pour nous consoler ! — Oh, une bonne dose de cynisme, chouette ! Ô_o), le visiteur est invité à suivre un cheminement (un peu comme le bétail) au long duquel des reproductions de street art ont été apposées sur les murs, dont des plus récentes vues en Ukraine. Plusieurs salles se succèdent ainsi, mêlant reproductions murales et reproductions d’œuvres sur papier ou canevas, reproductions de sculptures ou d’installations, le tout permettant de se faire une idée « grandeur nature » (d’une partie) de l’étendue du travail de Bansky. Suivent une sorte de projection de clip mettant en mouvement plusieurs motifs récurrents de Bansky dans un décor de station de métro, et une « reconstitution de l’atelier de l’artiste » avec-mannequin-de-dos-pour-faire-plus-vrai, avant d’arriver dans la partie bar-lounge et ainsi avoir l’opportunité de pouvoir poursuivre la discussion sur les dérives du capitalisme et l’inhumanité de notre monde actuel, et la soirée, autour d’un verre de vin à 8€ (bon, là j’exagère un peu la mauvaise foi, parce que les prix semblent tout à fait corrects pour Stockholm), et de finir par un nouveau passage dans la boutique, histoire de finaliser les repérages du premier passage.
Bon...
Le côté merchandising est vraiment très présent (voire même encore un peu plus que ça), et de nombreux visiteurs consomment, en même temps qu’ils adûûûlent et âââdmirent les pièces du maîîître, dont plusieurs mettent en cause le consumérisme.... et là je ne comprends pas : Banksy est-il à ce point cynique ? il a bien fallu qu’il accepte les termes de cette exposition à un moment, bien fallu qu’il accepte l’utilisation de ses visuels pour le merchandising... lui, le « Genius Mind », nom de l’expo. Y’a franchement un truc qui m’échappe...
Après une petite recherche sur internet, j’ai fait une trouvaille éclairante (et rassurante dans un sens) : Bansky n’est, la plupart du temps, même pas informé de ces expositions machines à cash qui exploitent son nom, et il a encore moins donné son accord. Mais se pose une problématique philosophique relative à sa propre démarche : « Hmmm. Je ne suis pas sûr d’être le mieux placé pour me plaindre de personnes qui utilisent des images sans demander la permission », déclaration issue d’un article fort intéressant paru dans Beaux-Arts, et que je vous invite plus que chaudement à aller lire. C’est édifiant. (Spoiler : ces expos sont une grosse arnaque.)

Pour aller plus loin

 

Fotografiska Stockholm
Fotografiska Stockholm

Fotografiska, musée de photographie contemporaine, Stockholm

Bon, là par contre, ma visite n’a aucun rapport avec le hasard... ^^

Fotografiska | Shirin Neshat, The Fury
Fotografiska | Shirin Neshat, The Fury

Shirin Neshat, The Fury
Découverte du travail noir et blanc sensible et somptueux de ces corps féminins, dont Shirin Neshat soigne les meurtrissures en leur apposant à l’encre des vers calligraphiés du poète iranien Forough Farrokhzad. L’exposition propose en outre la projection du film The Fury, en double écrans disposés face à face, qui aborde la torture des femmes prisonnières politiques, objets à la fois du désir et de la violence de leurs tortionnaires. D’une grande beauté et d’une profonde empathie, cette exposition très émouvante apporte aussi une forme de réconfort à ceux qui la regardent, en même temps qu’elle soulève encore un peu plus la colère face à la bêtise humaine.

Fotografiska | Hip-Hop : Concious, Unconsious
Fotografiska | Hip-Hop : Concious, Unconsious

Hip-Hop : Concious, Unconcious, exposition collective
Très sympathique voyage à travers le mouvement Hip-hop, du courant des 70’s à aujourd’hui, des énormes radio-cassettes sur les trottoirs et toits des immeubles du Bronx à l’industrie très lucrative qu’il est devenu, avec ses icônes, ses symboles, ses débordements. Autant de transformations qui suivent celles d’une société pourtant — encore — très racialisée, et un message, un appel, toujours aussi nécessaires, à la reconnaissance.

Fotografiska | AdeY, Uncensored
Fotografiska | AdeY, Uncensored

AdeY, Uncensored
Exposé dans le cadre des « artistes émergents », le travail d’AdeY repose principalement sur la représentation du corps humain, entendu au sens général, par-delà l’identité (de sexe, de couleur de peau, de cheveux, de chaussures, de genre, d’orientation sexuelle), quitte à dénoncer dans le même temps la chosification des corps, dans de superbes compositions. Alors pourquoi censurer ?

Fotografiska | Erik Johansson, The Echo Chamber
Fotografiska | Erik Johansson, The Echo Chamber

Erik Johansson, The Echo Chamber
Présentation de trois nouveaux travaux du photographe et graphiste suédois maintenant mondialement connu pour ses images à la fois oniriques et pleines de sens Erik Johansson, où il interroge plus précisément notre représentation du monde, et les rapports que nous entretenons avec celle-ci. Cette étude sur les projections de la réalité, aux frontières de la philosophie, se rapproche énormément, à mon sens, de la démarche de Magritte. Difficile dans ces conditions de ne pas rester admiratif, et pensif.

Fotografiska | Bruno Ehrs & Tom Wolgers, Stockholm – Pieces of a City
Fotografiska | Bruno Ehrs & Tom Wolgers, Stockholm – Pieces of a City

Bruno Ehrs & Tom Wolgers, Stockholm – Pieces of a City
Peut-être l’expo qui m’a le moins touchée, peut-être parce que je ne connais pas suffisamment Stockholm et ses évolutions pour en percevoir toute la profondeur, et l’affect associé. En réalité deux travaux réunis, un mêlant portraits d’inconnus et paysages urbains, l’autre abordant la ville dans une approche plus architecturale et constructiviste. Cependant, une recherche très intéressante sur la composition musicale spécifique à ce projet, l’exposition s’accompagnant de sa diffusion.

Encore un chouia ;)

 

 
  • lundi 23,
Annette, une épopée
Annette, une épopée

Annette, une épopée, roman d’Anne Weber, 2020, Seuil

L’histoire d’Annette (Anne Beaumanoir), qui forte d’un caractère bien trempé s’efforce de rendre le monde un peu meilleur, en s’engageant dans la Résistance à peine sortie de l’enfance, en poursuivant par des études de médecine qu’elle met en application en se consacrant au soin et à la recherche médicale, ou encore en s’impliquant pour l’indépendance de l’Algérie, au risque de perdre sa famille car considérée comme terroriste sur le territoire français, coûteuse rançon de ses idéaux humanistes et des actions qu’elle y a associées. Outre le récit et le portrait tous deux passionnants, et porteurs d’un espoir dont nous avons aujourd’hui encore tant besoin, j’ai également apprécié la langue d’Anne Weber, ses jeux sur les sonorités, elle qui a la particularité d’écrire ses romans à la fois en Français et en Allemand, et son espièglerie, bel hommage à celle d’Annette. Un grand merci à qui de droit pour cette très belle découverte ;)

 

[1attention digression : ça me fait penser à la série récente et passionnante de vidéos de François Bon à propos des romans de Patrick Modiano, analyse des infimes variations d’infinies répétitions, ou quand « réécrire toujours le même livre » sert un propos toujours plus profond : https://www.youtube.com/watch?v=BOEaNC8pGZA

[2et donc avant même la publication du rapport Meadows, en mars 1972, et dont on commence à peine à percevoir le message, plus de cinquante ans après, preuve sans doute de notre supérieure intelligence : les neurones doivent être particulièrement longs

Première mise en ligne 13 novembre 2023, dernière modification le 13 novembre 2023

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